TRANPARENCE DE LA VIE PUBLIQUE
EXPLICATION DE VOTE
ROGER-GÉRARD SCHWARTZENBERG,
PRÉSIDENT DU GROUPE RRDP
ASSEMBLÉE NATIONALE, 25 JUIN 2013
Les Radicaux de gauche ont toujours agi pour améliorer la déontologie et
la transparence de la vie publique.
Nous avons été les premiers à déposer une proposition de loi en ce sens, le
28 juin 1978 à l’Assemblée nationale.
Ensuite, il y a eu la proposition de loi organique « relative à la
transparence de la vie publique », cosignée avec les députés socialistes et
déposée le 29 novembre 1994. Enfin, il faut mentionner les travaux de la
Commission Sauvé.
Le 26 octobre 2010, auditionné par cette Commission, le PRG avait
préconisé une série de mesures pour mieux assurer la transparence de la
démocratie. En proposant, en particulier, le renforcement des obligations
déclaratives des élus et des pouvoirs de contrôle de la Commission pour la
transparence financière de la vie politique, afin qu’elle puisse vérifier bien plus
efficacement les déclarations de patrimoine.
Sur ce dernier point, vos textes rejoignent nos préoccupations : mieux
contrôler et sanctionner davantage. Toutefois, à côté de ce point positif, ils nous
paraissent présenter quatre inconvénients importants.
L’origine du texte
D’abord l’origine du texte, qui le fait apparaître comme un texte de
circonstance.
Un ministre, un membre du gouvernement, M. Cahuzac, est mis en
examen, et l’Exécutif semble vouloir détourner l’attention en tournant le
projecteur vers les parlementaires.
Comme si l’on pouvait, à partir d’une défaillance ministérielle
individuelle, faire peser une présomption de culpabilité collective sur les élus de
la Nation. Présentés implicitement comme tous corruptibles, sinon corrompus.
En fait, ce projet de loi Cahuzac introduit une étrange innovation : la
repentance pour autrui. En invitant les parlementaires à s’auto-accuser
collectivement de fautes que la quasi-totalité d’entre eux n’a jamais commises.
Cette démarche, qui risque d’être perçue comme une tentative de
diversion, constitue un procédé insolite, qui paraît peu convenable, dans les
rapports entre Exécutif et Législatif.
Il n’est pas souhaitable que l’Exécutif paraisse contribuer lui-même à
l’antiparlementarisme - qui n’appartient guère à la culture de la gauche - ou qu’il
semble ébaucher une sorte de poujadisme d’Etat. Surtout en période de crise et
de forte montée des populismes.
La composition et la désignation
de la Haute Autorité
Deuxième point contestable : la composition et la désignation de la Haute
Autorité de la transparence de la vie publique, qui ne garantissent guère sa
représentativité et traduisent une réelle défiance envers le Parlement.
Pour sa part, le rapport Jospin de novembre 2012, proposait de créer une
« Autorité de déontologie de la vie publique » comportant 9 membres : les 3
plus hauts magistrats du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation et de la Cour
des comptes et aussi 6 personnalités qualifiées, désignées pour leurs
compétences en matière de déontologie (deux désignées par le Chef de l’Etat,
deux par le Président de l’Assemblée nationale et deux par le Président du
Sénat).
En revanche, le texte déposé initialement par ce gouvernement en avril
2013 créait bien lui aussi une « Haute Autorité de la transparence de la vie
publique », mais qui n’aurait comporté aucune personnalité qualifiée. Cette
instance aurait été composée exclusivement de son président et de six
magistrats, élus par leurs pairs.
Le texte de la Commission a corrigé cette absence de personnalités
qualifiées, en ajoutant aux 7 membres déjà prévus quatre personnalités
qualifiées : deux nommées par le président de l’Assemblée nationale, après avis
conforme de la Commission des lois rendu à la majorité des 3/5 èmes, et deux
désignées dans les mêmes conditions par le président du Sénat.
Mais très curieusement, en séance, un amendement du Gouvernement a
ramené de 4 à 2 seulement le nombre de ces personnalités qualifiées désignées
par les présidents des deux assemblées.
Cela marque une sorte de défiance persistante envers le Parlement, dont
on réduit ainsi fortement le rôle dans la désignation de la Haute Autorité.
Comme s’il fallait couper, séparer le plus possible cette instance du Parlement,
tenu en suspicion et donc en lisière.
Les modalités de publicité
des déclarations de patrimoine
Un autre point contestable concerne les modalités de publicité des
déclarations de patrimoine, qui seront « tenues à la disposition des électeurs »
en préfecture, « aux fins de consultation ».
Certes, publier ou divulguer les déclarations ainsi consultées sera
théoriquement puni des peines du Code pénal (art. 226-1), qui sanctionnent les
atteintes à l’intimité de la vie privée. Mais cette garantie est assez illusoire.
En fait, la publication ou la divulgation de ces documents risque fort
d’intervenir, sous la forme de tracts anonymes ou via Internet, où il est parfois
difficile de retrouver l’origine de la publication.
Les controverses sur ces informations privées risquent donc d’envahir les
campagnes électorales et d’y supplanter les vrais débats politiques et
programmatiques.
Pourtant étalage et déballage ne peuvent devenir les deux piliers de la vie
publique.
Les lanceurs d’alerte
Dernier point à mentionner : la protection de ceux qu’on appelle un peu
solennellement les « lanceurs d’alerte », et qu’on pourrait dénommer plus
simplement les « informateurs ».
Celui qui relate, notamment aux autorités judiciaires ou administratives,
des « faits relatifs à une situation de conflits d’intérêts » est présumé de « bonne
foi », et c’est à la personne ainsi mise en cause qu’il appartient de prouver sa
non-culpabilité.
Ce renversement de la charge de la preuve est très inhabituel. Car, selon
un principe de droit commun, qui connaît de très rares exceptions, la preuve
incombe naturellement au demandeur, à celui qui intente une action, et non au
défendeur mis en cause par lui.
Or, cette inversion de la charge de la preuve pourrait inciter à porter des
accusations dépourvues de fondements exacts, leur auteur s’estimant bénéficier
d’une sorte de protection liée à l’application de la notion de « bonne foi »,
souvent difficile à apprécier.
Certains « lanceurs d’alerte » risquent alors de se transformer en lanceurs
d’approximations, d’allégations non fondées voire de simples rumeurs. Avec le
risque d’aller vers une culture de la dénonciation, voire de la délation.
Dans la hâte
Jusqu’à présent, les projets de loi relatifs au financement et à la
transparence de la vie publique – lois organiques du 11 mars 1988 et du
19 janvier 1995, qui sont des textes très nécessaires – avaient été élaborés par
l’Exécutif à un rythme normal et sans précipitation. De même, ils avaient pu
faire l’objet d’un examen détaillé par le Parlement, sans recours à une procédure
accélérée.
Là, au contraire, tout est allé trop vite pour parvenir à des textes
réellement aboutis.
Légiférer dans de telles conditions – sur des textes rédigés dans l’urgence
et examinés dans la hâte de la procédure accélérée – ne peut donner de bons résultats.
L’élaboration de la loi ne peut devenir une course de vitesse. Il y aurait là
une atteinte aux droits du Parlement et à la dignité de ses travaux.
Monsieur le Ministre, malgré l’estime que nous avons pour votre action
personnelle, le groupe RRDP votera en grande majorité contre ces textes,
qui lui paraissent comporter plusieurs dispositions inopportunes, voire
inconstitutionnelles.
Il le fera à regret, mais en considérant qu’il y va de la démocratie
parlementaire.
Cela dit, il y aura ensuite d’autres lectures, qui seront susceptible de
modifier ces textes, si le gouvernement s’y résout.
Après tout, comme le disait Mascarille dans la pièce L’Etourdi de
Molière : « Les plus courtes erreurs sont toujours les meilleures. »